Les trois constructeurs seraient sur le point de racheter Nokia Here, la filiale cartographie du groupe finlandais. Derrière cette acquisition, un bras de fer entre Google et le secteur automobile traditionnel avec plusieurs milliards de dollars à la clé.
La guerre de la cartographie se poursuit et prend une dimension nouvelle. Audi, Daimler et BMW sont sur le point de se grouper pour acheter Nokia Here, le service de cartographie numérique du groupe finlandais. Cette acquisition, si elle devait se concrétiser, s’élèverait à 2,5 milliards de dollars (2,27 milliards d’euros), a indiqué mardi le Wall Street Journal. Mais, au-delà de la somme, la négociation en cours illustre le début d’une prise de conscience réelle des constructeurs automobiles face à la puissance de Google. Et marque leur volonté de résister à un rouleau compresseur qui entend bien devenir un acteur incontournable de la mobilité.
Le grand public ne connaît pas Nokia Here. Et pourtant, quatre voitures sur cinq dans le monde avec un écran intégré sont équipées de la cartographie scandinave. Il est le leader sur son segment, présent dans près de 100 pays. En 2014, les licences vendues par Nokia Here à l’industrie automobile ont représenté la moitié des 970 millions de dollars de son chiffre d’affaires. En revanche, le grand public connaît Google Maps, arme de connexion massive et gratuite de Google. Google Maps est utilisé par un milliard de personnes chaque mois. C’était, en 2013, l’application mobile la plus utilisée sur la planète, selon une étude de l’institut GlobalWebIndex. Mais c’est aussi un assistant de navigation plutôt efficace. Résultat : non seulement les smartphones ont fait leur nid dans l’habitacle des voitures et déventousé les boîtiers GPS des concurrents, mais Google a imposé un standard, obligeant ces derniers à s’aligner et à proposer, eux aussi, des applications de navigation gratuites (avec des options payantes) alors que leur modèle économique était basé sur le payant à 100%.
Au passage, Google a déposé sur place son grand rival Apple, qui lui tente de s’imposer avec son application Apple Plans, mais qui a pâti d'un mauvais démarrage. En 2012, il avait même tenté de virer Google Maps de sa bibliothèque App Store, avant d’être obligé de la réintroduire sous la pression des utilisateurs d’iPhones en colère.
Aujourd’hui, la question des boîtiers est réglée. La bataille se joue sur un autre terrain. «L’enjeu, c’est de savoir qui va contrôler la console centrale, le tableau de bord», décrypte Franck Cazenave, auteur du livre Stop Google (édition Pearson), dans lequel il décrit la stratégie du géant américain pour s’imposer dans la mobilité physique. L’objectif de Google — et d’Apple — est de s’installer de façon permanente dans un espace qui jusqu’à présent lui était fermé : la voiture. Ils ont mis un pied dans la portière avec leurs smartphones, mais ce n’est qu’une étape.
De plus en plus de voitures sortent des chaînes de fabrication avec des écrans intégrés au tableau de bord, offrant notamment un assistant de navigation installé par défaut — en général le fameux Nokia Here. Ce que veulent Google et Apple, c’est permettre au conducteur de transférer l’écran de son smartphone sur celui de sa voiture. Le premier avait ainsi annoncé en 2014 l’arrivée d’Android Auto, interface développée à partir de son système d’exploitation vedette (un milliard de smartphones dans le monde tournent avec Android). Le second avait lancé Carplay quelques semaines avant, basé sur le même principe. Le conducteur connecte son appareil et retrouve sur l’écran du tableau de bord une sélection de ses applications, celles qui sont compatibles avec les impératifs de sécurité : téléphonie, messagerie, musique en ligne, info trafic, info météo… et, bien sûr, navigation routière. Autant de services, connectés pour la plupart, qu’un constructeur automobile ne peut proposer, sauf à suggérer au propriétaire de prendre un deuxième abonnement internet spécialement pour sa voiture… ce qu’il ne fera pas. De nombreux constructeurs s’apprêtent donc à laisser ces deux géants du numériques s’installer dans l’habitacle de leur voiture. Hyundai a annoncé fin mai que sa Sonata, vendue aux Etats-Unis, serait la première à intégrer Android Auto. Carplay devrait suivre, a promis le coréen.