Après les navires militaires et les centres dans le Pacifique, la dernière innovation du pays contre les flux de réfugiés est d'en «sous-traiter» certains au Cambodge. Et le pays espère que l'Union européenne se convertira à ses vues...
Ce sont quatre passagers peu ordinaires, soumis a une intense curiosité médiatique, qui ont atterri le 4 juin à l’aéroport de Phnom Penh. Trois Iraniens, ainsi qu’un Rohingaya, membre d’une des minorités musulmanes de Birmanie. Quatre réfugiés reconnus, ayant obtenu le statut de personnes soumises à des risques sérieux de persécutions dans leurs pays. Eux espéraient pouvoir s’installer en Australie, la puissante et prospère nation océanienne, auprès de laquelle ils avaient déposé leur demande d’asile. En lieu et place, ce sera le Cambodge, petit pays en voie de développement d’Asie du Sud-Est, marqué par deux décennies de guerre civile dans les années 1970-80.
Dès leur arrivée, encadrés par des policiers et des diplomates dans l’espace VIP de l’aéroport, les réfugiés ont été embarqués dans un minibus aux rideaux tirés pour les soustraire à l’attention de la presse, et emmenés dans une villa imposante de la capitale cambodgienne. Là, l’Organisation internationale des migrations (OIM), une agence intergouvernementale, se charge de les aider à s’acclimater à leur environnement déroutant en délivrant une aide en matière d’«orientation culturelle». «L’orientation culturelle inclut des cours de khmer, d’anglais, d’histoire, de l’aide sociale et sanitaire, ainsi que tout ce qui concerne la vie pratique, de comment aller faire ses courses à ouvrir un compte», explique Joe Lowry, porte-parole de l’OIM, qui ajoute espérer que «la vague d’intérêt dont ils font l’objet retombera et qu’ils pourront ainsi s’intégrer facilement».
Cette attention est due au fait qu’il s’agit des premiers réfugiés à «bénéficier» de l’accord signé en septembre 2014, qui prévoit l’accueil sur le sol cambodgien des demandeurs d’asile pour l’Australie. Le parachèvement de la politique de verrouillage mise en place par les gouvernements successifs de Canberra à l’encontre des migrants, qui est allée crescendo à compter de 2010.
Première mesure: faire intercepter par la marine militaire au large des côtes les bateaux chargés de réfugiés, souvent en provenance d’Indonésie, pays de transit, et les forcer à faire demi-tour. Deuxième mesure: contraindre les demandeurs d’asile à résider, le temps que leur demande soit examinée, dans les centres de rétention situés sur l’île de Nauru, dans le Pacifique, ainsi qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Enfin, dernier point: même les demandeurs d’asile qui obtiennent le statut de réfugiés ne peuvent se rendre en Australie et doivent se réinstaller sur place, sur ces territoires du Pacifique –ce qu’on appelle, en Australie, la «solution Papouasie Nouvelle-Guinée»– ou donc, dorénavant, au Cambodge.
L’Australie estime que, pour sévère qu’elle soit, sa politique –martelée dans des messages officiels destinés à décourager candidats et trafiquants– bénéficie du soutien de son opinion publique, et pourrait même se révéler précurseure, susceptible d’inspirer une Union européenne confrontée à son propre afflux de réfugiés. Le Premier ministre conservateur Tony Abbott a ainsi déclaré, lors du drame du mois d’avril qui aura vu 800 migrants se noyer en Méditerranée, que «la seule solution était de stopper les bateaux» et ainsi d’encourager les Européens à mettre en place «des politiques très fortes», à l’image de celles par lui mise en place (mais même Nigel Farage, le leader du très droitier parti britannique Ukip, a jugé la politique suivie un peu dure).
Les Européens, qui débattent à l’heure actuelle de quotas pour répartir l’accueil, sont pourtant encore très loin d’envisager une politique similaire à celle mise en place dans l’hémisphère sud. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà jugé que le renvoi forcé des bateaux était illégal. Le vieux serpent de mer de l’externalisation du droit d’asile a pourtant refait récemment surface, avec l'idée de l’ouverture de centres de transit dans les pays d’Afrique du Nord (le ministre de l’Intérieur allemand a réévoqué l’idée en février). Problème: des pays comme la Libye, en proie à une guerre civile larvée, n’offrent pas de garantie de respect des droits humains des demandeurs d’asile.
Canberra assure de son côté que les pays où elle «délocalise» ses réfugiés respectent eux les droits de l’Homme et sont en plein décollage économique, offrant des opportunités pour refaire sa vie. Voire. Les nombreuses ONG travaillant au Cambodge ont pour la plupart dénoncé l’accord mis en place. «Nous avons de sérieuses réserves sur la capacité du Cambodge à offrir un havre de paix pour les réfugiés de Nauru, notamment les enfants, explique ainsi Jay Laurence Till, de World Vision Cambodia. Le Cambodge est une des nations les moins développées de la région et mène sa propre bataille difficile contre la pauvreté.»